Enquête sur les coulisses du hip hop belge et sur une édition 2025 qui change tout

HipHop

LHOUCINE BENLAIL – MAWTINI NEWS 

Il y a des histoires qu’on croit connaître. Et puis il y a celles qu’on découvre en passant les portes d’un atelier, en tirant un fil, en posant une question de trop. Celle du hip hop belge et du projet « Hip Hop Generation Brussels » appartient à la seconde catégorie. C’est une histoire d’art, de politique, de survie sociale et de transmission. Une histoire dont les premières lignes se dessinent en 1980, mais dont le dernier chapitre vient peut-être de s’écrire en mai 2025.

Je vous emmène dans les coulisses.

Une 4ᵉ édition de Hip-Hop Generation Brussels 2025 qui change de dimension

Cette quatrième édition de Hip Hop Generation Brussels a dépassé la simple programmation culturelle. Elle a confirmé que le hip hop n’est plus seulement une affaire d’artistes ou de quartiers populaires : il est devenu un enjeu public, politique, éducatif. Pendant trois jours, l’événement a fait vibrer Bruxelles avec des ateliers, des rencontres, un storytelling géant retraçant quarante ans d’histoire, et surtout une innovation pédagogique inattendue.
La stars du l’événement, le Graffiti

Les outils didactiques créés par l’asbl Hip Hop Generation 80 ont retenu toute l’attention. Même les enfants les plus turbulents se sont arrêtés, ont posé leurs téléphones, ont relevé la tête. Un phénomène rare dans l’éducation populaire, que j’ai voulu comprendre.

Le témoin principal : Mohamed Halhoule, pionnier et survivant


Pour comprendre ce qui s’est joué dans cette édition, j’ai rencontré Mohamed Halhoule, fondateur du projet et pionnier du hip hop belge. Il m’a parlé de son enfance à la place Lemmens, un quartier où, selon ses mots, « il n’y avait que deux chemins : la délinquance ou la réussite par le sport, la culture… ». Il a choisi le second, presque par accident, grâce au hip hop et aux arts plastiques.

Mais ce qui l’a marqué, ce n’est pas un battle, un graff ou un DJ set. C’est une scène d’école, dans une classe de l’Académie des Beaux-Arts. Son professeur de dessin, un jour, arrive avec un tourne-disque vintage et du thé brûlant. Elle accroche de grandes feuilles partout. L’atmosphère change. Les élèves, d’habitude agités, se calment. La musique, la chaleur, le papier. Et les gestes se mettent à suivre.

Mohamed me confie :
« Elle avait compris comment captiver les jeunes. Ce jour-là a changé quelque chose en moi. Avant, j’étais un élève en échec. Après ça, je n’ai plus raté une seule année. »

Quarante ans plus tard, je réalise que cette scène a profondément influencé la 4ᵉ édition du festival, même sans qu’il en ait pleinement conscience.

L’atelier Graffiti de Hip-Hop Generation Brussels 2025 revisité : une expérience sensorielle et pédagogique

Photo d’illustration pour l’Atelier Graffiti de « Hip-Hop Generation Brussels 2025 »..

En 2025, l’atelier Graffiti n’est plus un simple exercice à la bombe. Mohamed a mis au point un programme inédit. Les enfants choisissent un surnom, apprennent à dessiner un lettrage, le corrigent, le redessinent, le finalisent. L’expert les guide, mais ne dessine jamais à leur place. L’environnement est immersif : musique hip hop, danse, interaction permanente. Une sorte de laboratoire vivant où l’enfant apprend par le rythme, par le geste, par l’énergie environnante.

Mais la révolution vient d’ailleurs. Mohamed observe que les enfants n’arrivent pas à reproduire les lettres du modèle. Il cherche, teste… Et il trouve. Il met au point un outil de mesure, simple mais génial. Un guide graphique inspiré des méthodes des écoles d’art, adapté au street art et compréhensible immédiatement par un enfant de dix ans.


Résultat : les enfants reproduisent non seulement le dessin, mais deviennent capables d’en dessiner un nouveau de leur propre initiative. Leur implication explose. Leur niveau aussi.

Mohamed me dit :
« J’en suis la preuve. Si les conditions sont alignées, l’enfant décolle. Et cette année, j’ai vu mes élèves décoller comme jamais. », une info qui pourrait être utilise à La Ministre de l’Éducation Nationale.

Le storytelling géant : l’histoire du hip hop racontée comme un patrimoine


Autre innovation majeure : un storytelling géant, une fresque de quarante ans d’histoire du hip hop belge. Une ligne du temps monumentale qui raconte les pionniers, les lieux, les battles, les transformations sociales, les discriminations, les ruptures, les renaissances.

Le public traverse quarante ans comme on traverse une exposition immersive. C’est pédagogique, politique, identitaire. C’est aussi un rappel que cette culture, longtemps marginalisée, est aujourd’hui un patrimoine vivant.

Un public pluriel, imprévisible, révélateur

Cette édition a accueilli un public d’une diversité exceptionnelle : jeunes, familles, enfants du quartier, artistes, femmes breakeuses, rappeuses, Une mixité rare, presque spontanée, comme si l’événement avait réussi ce que les politiques peinent à produire : un espace réellement inclusif où personne ne se sent étranger.

Plusieurs visiteurs m’ont confié la même phrase :
« On ne connaissait pas cette histoire. »

Et c’est précisément là que l’événement dépasse la culture. Il devient un acte de mémoire collective.


La politique entre soutien, contradictions et non-dits

Ici, l’enquête commence.

Pendant les émeutes à Bruxelles, les États-Unis avaient discrètement débloqué un budget, surnommé localement le plan Marshall, destiné à soutenir les jeunes des quartiers défavorisés, à l’image du Bronx en 1978. Ce financement, peu documenté, a disparu des radars. Ce qui est certains, c’est qu’aucune personne concernée n’a pu bénéficier de ce soutien, les acteurs de hip-hop se connaissent très bien et n’on jamais entendu parler même du plan Marschall.

La première fédération National avec Mme Alda Greoli Ministre de la Culture en 2016.


En 2019, la Belgique crée enfin sa première Fédération Nationale du Hip Hop, sous l’impulsion de la ministre de la Culture Alda Gréoli (Les Engagés, le nouveau nom de l’ex partie politique CDH). Un acte historique. Mohamed Halhoule siège toujours au Conseil d’administration de la Fédération Nationale du Hip-Hop.

Et pourtant, après ce moment fondateur, la culture hip hop redevient un terrain politique instable.
Sous Bénédicte Linard (Écolo), aucune action culturelle n’a été soutenue.
Sous Valérie Glatigny (MR), alors ministre des Sports, les portes restent closes. Aujourd’hui ministre de l’Éducation, elle n’a pas encore répondu aux sollicitations de notre association.


Heureusement, certains soutiens ont été constants. Dès 2022, la ministre Caroline Désir (PS) soutient l’événement et reconnaît sa dimension éducative pendant tout son mandat. La COCOF et Image de Bruxelles suivent la même direction. Le ministre-président Rudi Vervoort, lui, est resté fidèle au projet depuis le début.

Mais l’instabilité politique pèse lourd. Une majorité tombe, et soudain une culture disparaît d’un agenda. Un cabinet remplace un autre, et des années d’efforts peuvent s’évaporer.

Derrière chaque battle, chaque atelier, chaque exposition, il y a un enjeu politique invisible. L’avenir du hip hop belge se joue aussi dans les cabinets ministériels.

Une histoire en cours d’écriture

Photo d’illustration pour la visite guidée de l’expo « Hip-Hop Generation Brussels 2025 ».

Ce que j’ai vu dans cette édition 2025 dépasse largement le cadre d’un festival culturel. C’est le miroir d’une société qui cherche encore comment reconnaître ses cultures populaires. C’est une bataille entre mémoire et oubli, entre soutien institutionnel et inertie politique, entre reconnaissance et marginalisation.

Et ce n’est que le début.

Je vais continuer à suivre cette affaire.
Les décisions à venir seront déterminantes.

Les responsabilités aussi.
La culture hip hop belge entre enfin dans l’histoire officielle.
Reste à savoir si la politique écrira le prochain chapitre ou tentera encore de le retarder.

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